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Cinéma chinois
3 décembre 2006

La censure a encore frappé...

summer_palaceSuite aux commentaires très intéressants de Mme MARC sur le message Festival des Trois continents, j'ai décidé de reprendre l'info dans un post à part pour bien la mettre en relief. Vous trouverez également dans la rubrique Liens un nouveau lien vers le blog de Pierre HASKI, ancien correspondant du journal Libération en Chine pendant cinq ans et dont la richesse des articles a permis de donner une vision sans complaisance et pleine d'humanité de la Chine d'aujourd'hui, loin des clichés et des facilités...

Le film visé par la censure chinoise n'est autre que le très remarqué Summer Palace, présenté au Festival de Cannes 2006, et dont le réalisateur, LOU Ye, est loin d'être un novice dans le métier puisqu'il a déjà réalisé plusieurs films, dont le très beau Suzhou River sorti en 2000.

Alors, pourquoi la censure s'intéresse-t-elle à Summer Palace ? Qu'a-t-il de si dérangeant ?
Plusieurs raisons peuvent l'expliquer :

  1. LOU Ye, pour pouvoir participer au Festival de Cannes, a décidé de passer outre le Bureau de la censure pour livrer son film dans les temps... Simple procédure administrative ? Pas vraiment. Dans un pays où la fragilité du système liée à la corruption endémique et à des conflits de gestion permanents entre le centre du pouvoir et ses périphéries administratives, contourner le Bureau de la censure revient à prendre des libertés que le régime ne peut pas se permettre s'il veut continuer à subsister. La moindre brèche serait le début de la fin... D'où cette intransigeance, et la mise en avant du motif officiel de contournement administratif n'est pas selon moi qu'un simple artifice.
  2. Cependant, et c'est la deuxième raison, le gouvernement ne s'en serait pas mêlé si l'histoire du film ne soulevait pas tant de tabous. Car plus que d'une histoire d'amour, il s'agit plus exactement de la libération sexuelle d'une jeune fille quittant sa campagne pour étudier dans le Pékin des années 80, le tout sur fond des révoltes estudiantines du printemps 1989... C'est donc avant tout un film abordant le vent de liberté qui soufflait à l'époque. Et la liberté, celle dont a fait preuve LOU Ye en présentant son film sans passer par le Bureau de la censure, celle de l'héroïne de son film qui découvre la vie, et enfin celle que revendiquaient les étudiants du Printemps de Pékin, c'est cette liberté qui effraie le régime de Pékin et qui est bâillonnée par la censure chinoise aujourd'hui.
  3. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, au-delà de la censure, malheureusement traditionnelle, c'est bien, comme le dit Pierre HASKI sur son blog, d'acharnement dont est victime LOU Ye. Frappé d'une interdiction de tourner pendant cinq ans, probablement la pire des condamnations pour un cinéaste (peines de mort et d'emprisonnement mises à part bien sûr...), le cadre administratif du Bureau de la censure a été dépassé avec une implication du gouvernement chinois lui-même, employant l'arme diplomatique pour empêcher le film d'être diffusé à l'occasion d'autres festivals. Ainsi, le Festival de Serbie a d'abord retiré le film de sa programmation avant de revenir sur sa décision, puis ce  fut au tour du Festival de Goa en Inde de connaître les pressions diplomatiques de Pékin... Car ce film a suscité davantage qu'une simple censure cinématographique pour passer dans le domaine diplomatique... Ce qui ne fait que confirmer le sentiment de menace ressenti par Pékin à la moindre incartade.

Si cette censure n'est pas une surprise, elle rappelle néanmoins aux utopistes qui croient à la libéralisation du régime chinois que l'interdiction de s'exprimer librement est une réalité toujours d'actualité en Chine populaire.

Ceci dit, et pour conclure sur une tonalité moins noire, je dois avouer que ce genre de "sur-réaction" (on parle d'over-reaction en science politique) de la part de Pékin n'est pas sans laisser une part d'optimisme dans l'avenir. En effet, pourquoi se donnerait-il tant de mal si le régime était si fort ?  Une réaction de ce genre est un aveu de faiblesse.  Le seul moyen pour le régime autoritaire de Pékin de se maintenir au pouvoir est de garder le contrôle sur tout, ce qu'il arrive encore à faire pour le moment, y compris vis-à-vis d'Internet. Mais pour combien de temps encore ?

Par ailleurs, connaissant les talents de contrefacteurs des Chinois, n°1 en la matière, il est à parier que ce film pourra être vu sous le manteau en Chine. La seule vraie question est de savoir si les Chinois auront envie de le voir... Car le meilleur allié de la Chine dans son entreprise de censure est probablement la dérégularisation économique mondiale, particulièrement ravageuse en RPC. Le paradoxe qui fait que les anciens régimes communistes sont ceux qui connaissent le capitalisme le plus sauvage est particulièrement vrai en Chine. Mais les mécontentements grondent dans les campagnes chinoises, et ce que les paysans ont fait en mettant Mao au pouvoir, il se pourrait bien qu'ils le défassent. Manque aujourd'hui un courant politique alternatif structuré, et la vigilance de HU Jintao à cet égard n'est pas prête de se relâcher...

Ce qui ne nous empêchera pas d'aller voir Summer Palace à sa sortie en France, c'est-à-dire courant mars 2007 ;-)

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